Curation : quand d'autres choisissent à ta place ce que vaut ton art
Il y a quelques années, le mot “curation” était rare. On parlait de commissaire d’exposition. De regard croisé. D’accrochage.
Aujourd’hui, le terme est partout. On “curate” des œuvres, des playlists, des contenus, des artistes.
Et l’artiste devient celui que l’on sélectionne. Celui que l’on organise. Celui que l’on met dans un récit.
Mais moi, je me demande : que reste-t-il de l’élan initial, de l’intention brute, quand tout passe par le filtre d’un œil extérieur ?
Et surtout : à quel moment l’artiste devient-il à nouveau acteur de son propre discours ?
Curation : outil de mise en scène ou prise de pouvoir ?
À l’origine, le curateur est un passeur.
Quelqu’un qui aide à faire dialoguer les œuvres, à construire un propos cohérent, à révéler des tensions ou des liens.
Mais peu à peu, la curation est devenue une autorité.
Un pouvoir silencieux. Une main invisible qui trie, classe, légitime.
Et l’artiste, dans tout ça ?
Souvent, il s’efface.
Il est invité. Sélectionné. Intégré.
Et bien souvent, il découvre que son œuvre, sortie de son contexte, a changé de sens.
Raconter ma propre histoire
Je n’ai pas toujours su expliquer ce que je faisais.
Mais je sais une chose : chaque toile que je peins vient d’un endroit précis.
D’un souvenir. D’un regard. D’une émotion. D’un lien à un lieu ou à un corps.
Je ne peins pas pour illustrer une thèse.
Je peins pour créer une présence.
Et cette présence, je veux qu’elle reste libre.
Je veux être celui qui en décide l’ordre, le voisinage, le rythme. Même si c’est bancal. Même si c’est fragile.
Je veux pouvoir dire : “Cette œuvre va avec celle-ci parce qu’elles se répondent en silence.”
Et pas parce qu’un curateur y a vu une logique thématique séduisante pour un communiqué de presse.
Je fais ma propre curation
Dans mes expositions, dans mes carnets, dans mon site même, je construis ma propre narration.
Je choisis ce que je montre. Ce que je retire. Ce que je lie.
Ce n’est pas un refus de dialogue. C’est une revendication de souveraineté.
Je suis mon propre commissaire. Mon propre fil conducteur.
Et parfois, je propose des accrochages qui ne respectent aucune règle.
Parce que ce qui compte, ce n’est pas l’ordre chronologique ou le style, mais la tension entre les œuvres.
La série comme curation intime
Ma série « Chemin faisant » en est un exemple.
C’est une série que personne ne m’a commandée.
Elle n’a pas été pensée pour une galerie, ni pour répondre à un thème.
Elle est née d’un geste personnel : celui de marcher, d’observer, de fixer les traces.
Et pourtant, elle forme un tout.
Elle dit quelque chose de ma manière de traverser le monde.
Elle est une curation intérieure. Une carte sensible de mes pas.
Laisser les artistes raconter
Je rêve d’un monde artistique où l’on fait confiance aux artistes pour créer leur propre récit.
Où on les laisse écrire leurs propres textes. Choisir leurs titres. Accrocher eux-mêmes leurs œuvres, sans justification.
Je ne rejette pas les curateurs. Je rejette la dépossession.
Je crois que l’artiste est aussi un auteur. Pas seulement un fournisseur d’images.
Et si mes accrochages sont parfois imparfaits, ils me ressemblent.
Ils racontent quelque chose de vrai, de traversé, de vécu.
Et c’est cela que je veux partager.
Conclusion : je ne veux pas qu’on décide à ma place
Je suis prêt à dialoguer. À confronter. À apprendre.
Mais je ne veux pas qu’on décide à ma place ce que vaut mon travail.
Je ne veux pas être intégré dans une grille de lecture qui me trahit.
Je veux garder la main.
Même si elle tremble.
Parce que c’est cette main-là qui peint.
Et elle sait, mieux que personne, ce qu’elle voulait dire.
Questions fréquentes
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Pas à la curation en soi, mais à son usage dominant : celui d’un filtre qui décide ce qui vaut d’être vu, montré, compris. Je veux défendre la possibilité pour l’artiste de faire sa propre mise en récit.
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Intuitivement. Je cherche des échos, des ruptures, des correspondances sensibles. Je ne cherche pas une logique parfaite, mais une cohérence intérieure.
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Oui. Toutes mes œuvres sont visibles sur mon site, avec mes textes, mon ordre, mon propre cheminement.